Mon expérience m'a souvent fait prendre conscience du cruel manque de lieux où la parole est possible, de personnes capables d'écouter et d'entendre la souffrance des jeunes, en les respectant dans cette souffrance, dans leur cheminement avant de pouvoir réellement mettre des mots sur leurs maux.

A plus long terme, mon projet est de créer une association pour pouvoir accueillir des jeunes qui sont en difficulté, qui ont besoin de se confier, de poser leurs valises trop lourdes à porter. Ecouter celles et ceux qui ont simplement besoin de parler. Aider celles et ceux qui ont besoin de conseils. Re-susciter l'envie et le goût de vivre. Accompagner les démarches vers un nouveau départ et/ou vers une plainte et donc une enquête, un procès toujours difficiles à vivre...

Cette association pourra offrir une aide ponctuelle et l'orientation vers des professionnels compétents. Et si un jour des subventions et finances sont suffisantes, elle pourra offrir une aide financière aux victimes pour mener à bien leurs démarches et pourquoi pas ouvrir un foyer d'accueil...

Cette attitude d'écoute et d'attention aux souffrances m'est apparue après le suicide d'un ami. Je me suis rendu compte de l'importance d'être attentif aux petits signes, aux gestes, aux mots, aux attitudes des gens autour de nous. Je n'avais pas vraiment ouvert les yeux pour lui, mais il m'a permis de les ouvrir pour tous les autres.

Dans les collèges où je travaille, je m'efforce d'être attentif à ce que vivent les élèves, j'ai créé un lieu d'écoute que j'ai appelé "le REPERE". Je n'hésite pas à "perdre" du temps à la fin d'un cours, dans les couloirs, la cour ou devant le collège pour discuter avec les uns ou les autres...Je me suis ainsi rendu compte de leur énorme besoin de parler, du manque de personnes autour d'eux à qui ils peuvent parler - et qui les écoutent réellement - de petites ou grandes souffrances vécues, de sentiments d'injustice, de réels mal être et envie d'en finir. Et ils en ont des choses à dire quand ils se sentent écoutés...

Dans mes activités d'animateur de groupes de jeunes, j'ai aussi eu l'occasion de rencontrer des souffrances extrêmes, menant à des tentations du suicide et parfois à des tentatives. Bien souvent les souffrances venaient de loin, étaient enfouies au plus profond et avaient pour origine un abus sexuel...caresse, attouchement ou viol. Je me suis ainsi longtemps intéressé au suicide puis ce lien qui existe souvent (pas toujours bien sûr) m'a fait m'intéresser aux violences sexuelles, finalement bien plus fréquentes que ce que l'on croit.

De nombreux jeunes en mal-être ou suicidants que j'ai pu rencontrer et écouter ont vécu des violences sexuelles dans leur enfance. Ces violences souvent refoulées, masquées sous une chape de silence, cachées par un comportement violent ou exubérant, parfois un enfermement, resurgissent sans ménagement à une période de la vie de ces jeunes :

C'est parfois, l'adolescence et les transformation d'un corps qui devient adulte avec ses attributs d'une sexualité qui a été touchée, abîmée par des gestes ou des actes déplacés...

C'est parfois, le grand jeune ou l'adulte qui n'arrive pas à se laisser caresser, aimer par son conjoint car les images des violences subies réapparaissent et hantent la mémoire...avec souvent la pensée lancinante de ne pas être aimable...

C'est parfois aussi encore bien plus tard, il arrive que ces souvenirs si fortement enfouis resurgissent après plus de 20, 30 ans "d'oubli"...

Mais dans tous les cas, le retour de ces "souvenirs" se fait avec une grande violence, une totale déstabilisation, une incompréhension de ce qui arrive...et les questions ne manquent pas (Ai-je vraiment vécu ça ? Est-ce mon imagination qui me joue des tours ? Pourquoi tout ça ressort aujourd'hui ?...).